En 2012, je tombe amoureux. À sa grande habitude, le TOC vient tenter de tout bousiller. Comme je l’ai déjà vu à l’œuvre une fois dans ce rôle, je décide de ne pas le laisser faire. « Tu ne m’auras pas deux fois ».
J’ai lu – je ne sais plus où – que le Toc serait la « maladie du tabou ». Alors je me dis que si j’arrive à l’étaler sur grand écran et à le partager avec d’autres dans une salle de cinéma, ce ne sera peut-être plus un tabou, et donc peut-être plus une maladie…voire même que ça va totalement lui enlever son pouvoir de nuisance. Comme on ouvre la fenêtre sur un grand soleil face à un vampire. L’issue est incertaine mais le jeu semble carrément en valoir la chandelle.
Dans le film « SOS Fantômes », des chasseurs de fantômes posent une boîte au sol, qu’ils activent et les fantômes se retrouvent alors aspirés et capturés. Le film et son dvd seront cet aspirateur. Ranger les douleurs et la mort dans un dvd, les mettre sur une étagère et les laisser prendre la poussière, tranquillement. En pouvant juste les regarder de temps en temps si besoin.
D’abord, il me semble évident que je dois filmer quelqu’un.e qui a des Tocs, et que ce quelqu’un.e ne peut pas être moi. Question de pudeur, tout autant que volonté de tordre le cou à ces nauséabonds reportages de TF1 présentant les malades comme des bêtes de foire. Je veux essayer de construire un autre imaginaire de la maladie, en partant du témoignage des premier.es concerné.es.
Je commence à écrire ce film-là, mais très vite il se transforme. Perdu avec mon besoin de film mais sans personnage, je décide de partir de mes propre « Tocs ». Après tout, cette maladie, je la connais bien. Mais pour autant, comme dans mes précédents films, je ressens la nécessité de rencontrer des gens et de les filmer, quand bien même j’ai besoin de parler de ce qui m’est arrivé. Toute révélation me semble supposer un témoin.
Alors, j’écris, patiemment, parfois pour trouver des sous, parfois pour moi. J’écris sans relâche pendant trois ans, pour inventer une « armature de film » qui puisse traduire un cheminement et une idée : quand « on est fou », c’est aussi et surtout le rapport à l’autre qui est en feu. Il me faut donc écrire ces autres, tout en leur laissant la place pour malmener le tournage comme le propos. « Des autres », aussi, avec en ligne de mire la place à venir pour le spectateur.
Quand le poids des pages menace de faire s’écrouler le bureau, vient le temps des amis.es et de la « mise en production » de l’affaire. A savoir : mettre en débat ce qui est écrit et se retrousser les manches, avec les compagnons de toujours, pour faire rentrer toutes ces idées dans un tournage. Au passage, malmener scénario et théories, et redécouvrir « l’accident documentaire » dans une joyeuse effervescence collective. Un tournage de quelques semaines à peine, en regard des 7 ans qui ont été nécessaire à la construction du film.
Et puis, par la suite, tenir bon. Tenir bon dans « l’hiver du film », quand le tournage est terminé et que commence le marathon informatique du montage. La rencontre avec la monteuse sera déterminante : c’est elle qui amènera le film bien au-delà de ce qui était initialement écrit. Ou quand contre toute attente, Lyon devient le théâtre d’une nouvelle grande aventure humaine et cinématographique, dans des petits bureaux où il fait pourtant froid.
Malgré tout, le temps est long, d’autant qu’en sept ans, la vie bouge et que l’impulsion initiale se cogne aux réalités du présent. En attendant, toujours : des mails, des dossiers, des disques durs et les mâchoires un peu serrées en attendant des jours meilleurs. Le temps manque, l’argent aussi mais heureusement il y a toujours les amis.es et Synaps pour y croire, alors tout va bien finir par bien finir.
Hiver 2019. C’est fini. Et s’annonce le temps de la route qui défile par la fenêtre de la voiture, et des bières artisanales qu’on ne connaît pas encore mais qui s’annoncent déjà pleines de promesses. Au-delà des blagues, c’est maintenant animé d’un puissant besoin de partage que j’aborde la diffusion. Pourtant en 7 ans, j’ai presque perdu ce besoin de témoigner qui m’animait initialement, tant la construction du film a été l’occasion de parler du TOC autour de moi comme jamais je ne l’avais fait auparavant.
Ce que j’espère par contre maintenant, c’est transmettre et partager ce salvateur espace de parole que j’ai eu et que j’ai la chance d’avoir avec d’autres au quotidien. Qu’il puisse – simplement – faire du bien mais aussi malmener l’apparent calme de la vie sociale et de sa normalité étouffante.
Dans un des rares films sur le TOC qu’il m’ait été donné de voir, l’un des personnages m’avait bouleversé en disant que que s’il pouvait passer l’énergie que lui demande la description du toc à des gens perplexes, à plutôt prendre soin de lui, alors il irait beaucoup mieux.
Ainsi, avec Le Grand Ordinaire, j’ai tenté de vous décrire ce qu’il se passe dans ma tête. Pour mieux vous demander : c’est comment dans les vôtres?